jeudi 19 novembre 2015

Chapitre 1 : La rencontre


Le Cohérant

Le Cohérent


Paris le 18.11.2015





Cher Trendy,

Me voilà de retour sur Paris car j’étais comme toi loin de la capitale pour un reportage dans le sud en ce vendredi 13 fatidique où la folie terroriste a encore frappé. Avec tout ce que ces événements tragiques ont de bouleversants, j’estime que la meilleure riposte est de continuer à vivre et faire ce que l’on doit. Aussi je te soumets, telles que prises à l’époque, les notes correspondant à notre première rencontre en espérant que cela te conviendra.








Profession de foi
D’un ex-Scientologue

La rencontre

C’est au printemps 2010, environ six mois après la condamnation pour escroquerie en bande organisée de cinq dirigeants du centre de célébrités de l’église de Scientologie de Paris qu’un certain Jacques Martinclair (manifestement un nom d’emprunt ne donnant aucun résultat sur les moteurs de recherche) m’a contacté par courriel. Le message était laconique et précis, m’indiquant que je lui avais été recommandé par des personnes de confiance et qu’en tant qu’ex-Scientologue il avait des révélations importantes à me faire concernant le procès.

Journaliste d’investigation spécialiste des sociétés secrètes et groupes d’influences occultes, j’enquête sur la Scientologie depuis que j’ai eu connaissance de la rocambolesque affaire « Snow white » (Blanche neige) qui a défrayé la chronique en déclenchant à la fin des années soixante dix ce qui est resté à date le plus grand raid dans l’histoire des Etats-Unis avec plus de 150 agents du FBI mobilisés simultanément à Los Angeles, New York, Washington et à Clearwater leur base principale en Floride. Il en résulta un procès retentissant où onze hauts dignitaires de cette organisation, dont l’épouse du fondateur Ron Hubbard, ont été lourdement condamnés et emprisonnés pour s'être infiltrés et avoir dérobé des archives les concernant au sein même d’instances gouvernementales.

Qu’un mouvement de nature prétendument spirituel use de méthodes et procédures dignes du contre-espionnage avait quelque chose de très intrigant pour moi. Le fait qu’ils les utilisent également pour intimider et réduire au silence leurs anciens adeptes et qu’ils cultivent une aversion quasi pathologique pour les journalistes fait qu’il est ardu et rare de pouvoir obtenir des informations de première main sur leurs agissements, pratiques et opérations très spéciales.

C'est donc avec une certaine excitation que j’acceptais la proposition de ce mystérieux personnage de me rencontrer le lendemain à 15h précise à la terrasse en face du café-concert « Aux Connétables » dans le quartier du marais à Paris avec pour instruction d’être assis seul à une table à lire le journal Libération. N’ayant aucune information le concernant, je redoutais de voir débarquer un individu comme j’en avais rencontré un certain nombre au cours de mes recherches exhaustives, persévérantes et méthodiques. Aurait-il la mine hagarde d’une victime résignée et harassée par des années de luttes épuisantes et stériles face à cette secte connue à juste titre pour être immensément riche, implacablement tyrannique, experte en manipulations mentales et procédurière au dernier degré ?

Aussi c’est avec soulagement et 10 minutes de retard qu’apparu dans mon champ de vision un homme de taille moyenne, entre deux ages, à la silhouette svelte et élancée, dans le style très parisien de l’artiste à l’élégance décontractée, portant une veste en tweed bien coupée, un pantalon de cuir moulant, des bottines de cavalier et une casquette de gavroche sur la tête. De sa démarche souple et dynamique il se dirigea droit sur moi avec le regard perçant d’un aigle fondant sur sa proie qui contrastait avec la chaleur du sourire qu’il m’adressa en me saluant d’un bonjour assuré et d’une poignée de main franche. Une longue mèche châtain clair lui tomba sur les yeux quand il ôta son couvre-chef avant de s’assoire. D’un geste de la main ample et gracieux il l’a rejeta sur l’arrière de sa tête découvrant un visage plutôt avenant aux traits aiguisés mais sans dureté excessive, la peau peu marquée par les outrages du temps qui passe, mais surtout les yeux d’un bleu profond au regard intense et captivant qui vous enveloppe d’une aura empreinte de douceur et de distinction où l’on se sent à l’aise, reconnu et important. Difficile de lui donner un âge car bien que semblant avoir dépassé la quarantaine, il véhiculait une impression d’assurance mêlée de désinvolture qui est habituellement l’apanage de la jeunesse. 

- On peut se tutoyer ? Me demanda t’il de butte en blanc. Mon verre de bière étant presque vide, il me proposa de payer sa tournée d’un - Tu reprendras la même chose ? Ce que j’acceptais volontiers pensant que notre discussion allait durer un certain temps et serait vraisemblablement animée. Pour nous commander deux verres, il s’adressa poliment à la jolie serveuse sur un ton très naturel de connivence implicite légèrement teintée d’espièglerie à laquelle elle ne fut pas insensible. Un peu étonné je lui demandais s’il l’a connaissait. Ni d’Eve ni d’Adam, mais elle est adorable me répondit-il. J’étais donc en présence d’un redoutable charmeur sachant manifestement y faire avec les filles et j’eu la nette impression qu'il allait me donner du fil à retordre.

C’est alors que me fixant avec intensité, il prononça de sa voix ample et mélodieuse ces mots auxquels je ne m'attendais pas du tout - je suis venu te parler au nom de Ron Hubbard.

Percevant mon trouble et manifestement satisfait de l’effet que sa déclaration avait produit sur moi, il s’arrêta un moment se calant confortablement dans le dossier de sa chaise et m’observa du coin de l’œil. Il prit une profonde inspiration, soupira, puis sorti de sa poche un paquet de cigarettes anglaises et m’en offrit une qu’il alluma d’un geste sûr avec son Zippo. Après avoir exhalé une première longue bouffée de la sienne avec délectation, il reprit en ces termes :

- Je suis un officier des relations publiques personnelles de LRH (Acronyme de Lafayette Ronald Hubbard écrivain de science fiction et fondateur de l’église de Scientologie décédé en 1986) à tite honorifique. A ce titre je le représente tant à l’intérieur qu’à l’extérieur et suis mandaté pour m’assurer que la lettre et l’esprit de son œuvre lui survivent et soient respectés dans la gouvernance des différentes activités liées à la Scientologie. Et c’est pour avoir sérieusement questionné, remis en cause et dénoncé les dérives du haut management que j’ai été expulsé en 2002 après quinze ans de bons et loyaux services. Mais avant de poursuivre et te faire mes révélations concernant le procès j’ai besoin de te connaître un peu.

C’est alors qu’il me posa toute une série de questions bien ciblées pour cerner ma compréhension du sujet et mes motivations. Ainsi c’était moi, le journaliste, qui me retrouvait sur le gril, ce que je m’étonnais à accepter de bonne grâce, sans doute à cause du ton simple, direct et détendu qu’il employait. 

Il lui importait de savoir dans quel média je publiais et mon degré d’indépendance par rapport à eux, mais également d’où je tirai mes informations et si j’avais lu des ouvrages de Scientologie ou l'avait pratiqué d'une quelconque manière. Avais-je connaissance du contenu des niveaux avancés que l'église cherchait désespérément à garder confidentiels ? Que savais-je des liens que Ron Hubbard avait entretenu avec l'occultisme ainsi que ses rapports conflictuels avec la CIA, le fisc américain et la psychiatrie ? Est-ce que je parvenais à m'y retrouver dans la nébuleuse organisationnelle de l'église ? Etais-je en contact avec des associations anti-secte ou les Anonymous qui s’étaient justement fait connaître en dénonçant les tentatives d’obstruction à la liberté d’expression sur le net pratiquées par l’église de Scientologie ? Avais-je au cours de mes enquêtes rencontré des membres actuels de l’église ou d’anciens membres tel que Alain Stoffen qui venait de publier un livre à charge ? Avais-je suivi de près les procès de la Scientologie en France comme celui de Lyon en 1997 et celui de Paris l'année précédente ? Etais-je au courant de la défection récente de certains grands dirigeants internationaux qui avec fracas dénonçaient publiquement les abus de pouvoir et l’attitude violente et tyrannique de David Miscavidge qui seul dirige maintenant l’église ? Enfin il voulait savoir si je suivais des sites de ré-information sur le sujet ainsi que des forums d’ex Scientologues et si j'avais entendu parler de la "Freezone", de la Ron's Org ou d'autres Scientologues indépendants qui avaient pris leurs distances ou créés des schismes à diverses périodes mouvementées de l'histoire de l'organisation. 

J’en vins à me demander s’il n’était pas là à secrètement m'espionner pour le compte de la Scientologie, ce qui est une pratique courante chez eux, mais mes réponses durent le satisfaire car il se mit à table et ce qu’il me déclara me rassura tout à fait quant à ses intentions.

Le cohérent  

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