vendredi 20 novembre 2015

Le procès parisien

- Puisque tu as suivi avec attention le procès qui vient de se dérouler à Paris, tu sais que toute l’affaire à faillit se dégonfler dans la mesure où Eric A, le plaignant principal, s’est retiré la veille de la première audience en acceptant une transaction financière avec l’église. Eh bien figures-toi qu’à cause de lui j’aurai dû me retrouver sur le banc des accusés car c’est moi qui l’ai ramené en Scientologie et empoché une commission rondelette sur une partie des sommes exorbitantes qu’on lui a extorquées, ce qui prouvait sans le moindre doute que la Scientologie peut être considérée comme une activité commerciale, ce que l'église tenait absolument à dissimuler.

Je m’étonnais, car si ce qu’il avançait était vrai, comment avait-il pu passer entre les mailles du filet sans être au moins cité à comparaître? Ce qu’il me raconta était vraiment à peine croyable. En 2001, au cours de l’instruction il avait été convoqué dans les locaux de la police judiciaire de Nanterre alors qu’il se trouvait en Angleterre pour faire ses niveaux avancés de Scientologie et face à une dizaine d’enquêteurs il s’en était sorti.


Pourtant les perquisitions faites au Centre de Célébrités de Paris (ou CC Paris pour faire court qui est la branche dédiée aux VIP, artistes et leaders d’opinions de l’église de Scientologie) avaient permis d’établir que son nom était associé pour une commission de 19.000F à celui d’Eric A. qui avait déclaré avoir été recruté dans la secte en août 1997 par un certain Jean Tox, qui avec son groupe de Rock faisait une tournée des plages sur un bus aux couleurs de « La Dianétique », livre emblématique de la secte qu’il avait acheté et lu avec intérêt. Il aurait suffit aux enquêteurs de faire le rapprochement entre la commission et le recrutement pour que la cause soit entendue. Alors comment expliquer que tel n’est pas été le cas ?  Jean (puisque c’est ainsi que je peux maintenant le nommer) me répondit qu’il s’était exercé avec un chargé des affaires légales et un avocat de l’église à noyer le poisson au cours de l’interrogatoire et qu’il y était parvenu à merveille. Je leur ai pourtant raconté toute l’histoire ajouta t’il, et je pense que c’est ma sincérité qui les a désarçonnée. En effet, j’étais vraiment désolé que les choses aient tourné vinaigre pour Eric avec qui j’avais eu une discussion intéressante sur le bus et qui m’avait fait confiance en se rendant de ma part au CC Paris.

- Quand à la fin de l’été je suis rentré de tournée, tout le monde était ravi car Eric, recrue de qualité, enthousiasmé par mon briefing avait investi une grosse somme pour des services de Scientologie constitués de cours et d’audition, qui est une forme spirituelle de thérapie. Tout cela aurait dû lui garantir une progression rapide et efficace dont il était très satisfait. Puis à peine un mois plus tard, catastrophe, Didier Michaud, le libraire n’avait rien trouvé de mieux que d’harceler Eric pour le contraindre à s’endetter d'avantage, ce qui est une violation grossière des règlements de l’église et eut pour conséquence que bouleversé, il vienne dès le lendemain me solliciter afin que j’intervienne pour le faire rembourser. Mais que ne m’avait-il prévenu avant ? J’aurai pu alors lui éviter de se mettre dans le pétrin puisque demander son remboursement entraîne nécessairement la radiation de l’église. Voilà quelque chose qu’à l’époque Eric ne pouvait pas exiger de moi. Je suis pourtant allé voir le libraire pour lui faire part de ma désapprobation et celui-ci ne trouva rien de mieux pour justifier son comportement détestable que de dénigrer Eric en me révélant des secrets inavouables qu’il avait confié lors de ses séances d’audition qui sont censées être confidentielles et protégées par le secret de la confession. J’étais vraiment dégoutté. De plus, comme j'avais été soigneusement tenu à l'écart de ces malversations, il n'était plus question pour moi de commissions que Didier Michaud empocha à ma place sans vergogne. Pour se comporter ainsi, il était évidement couvert par sa hiérarchie et dénoncer avec pertes et fracas de tels agissements aurait eu des conséquences qu'à ma grande honte, mais considérant que j'aurai été broyé en déclenchant un conflit ouvert, j’ai préféré éviter et faire profil bas en incitant Eric à persévérer pour ne pas mettre en péril son avenir en Scientologie. Par la suite, j’avais essayé d’arrondir les angles et de garder le contact avec lui que j’ai fini par rompre quand j’appris deux ans plus tard qu’il avait décidé de porter plainte contre l’église avec le soutien des anti-secte de l'ADFI(association de défense de la famille et de l'individu).

- C’est alors que l’enquêteur qui comme on le voit dans les séries policières américaines jouait le rôle du méchant me demanda si j’avais reçu cette commission pour avoir ramené Eric A. en Scientologie ? Sa question était mal formulée car elle impliquait une réponse qui n’était que partiellement vraie. Oui j’avais ramené Eric en Scientologie, mais ce n’était pas juste pour cela que j’avais reçu 19.000F. La nuance était de taille, ce qui m’offrit la possibilité de lui répondre non de la manière la plus ferme et définitive, sans mentir pour autant, ce que je n’aurais pu me résoudre à faire. Il aurait simplement suffit qu’il reformule sa question en me demandant pourquoi j’avais reçu cette somme et alors j’aurais été contraint de lui avouer qu’elle correspondait à 15% de commission sur ce qu’Eric avait dépensé et qui est la rétribution de ce qu’on appelle les « membres du personnel à l’extérieur ».  Alors les carottes pour l’église et moi auraient été cuites. Au lieu de cela, à ma grande surprise, il lâcha l’affaire et me déclara que j’étais libre et serai éventuellement convoqué en tant que témoin, ce qui n’arriva même pas.

- Avec le recul, je me demande si les enquêteurs n’ont pas voulu m’épargner par pure sympathie voyant que je n’avais pas grand-chose à voir avec la bande d’escrocs qu’ils tentaient d’épingler. Ou bien c’est d’une incompétence crasse, ce qu'a commenté un américain sur le forum des ex scientologues. Mais j’en doute. Quoi qu’il en soit je l’ai échappé belle et le couperet n’est pas passé loin.

Je lui suggérais que c’était peut-être parce qu’ils le considéraient plus victime que coupable dans cette histoire et qu’ils sentaient bien qu’ils n’avaient aucune chance de le voir se ranger du côté des plaignants. C’est bien possible me répondit-il un peu vexé, d’autant qu’avant de tout raconter, je leur avais fait un laïus sur le principe de laïcité en république supposé garantir la liberté de religion et le fait que je ne reconnaissais pas de juridiction extérieure à celle de l’église pour statuer sur ce type de litige. Les enquêteurs devaient estimer qu'ils n'avaient pas besoin de moi pour coincer les coupables et que mon implication n’aurait fait que complexifier le dossier.

- En tous cas, malgré ma complicité évidente, me retrouver sur le banc des accusés aux côtés d’individus dont je ne cautionnais pas du tout les agissements aurait été une épreuve difficile à affronter. D'ailleurs, à l’approche du procès, je me suis demandé s’il ne fallait pas que j’apporte mon témoignage, mais le fait qu’à la surprise générale Eric A. retira sa plainte au dernier moment ôtait toute légitimité à mon intervention.

- Pourtant, quelques temps plus tard, en consultant le compte rendu des audiences, j’ai vu que la présidente de la cour avait ouvert les débats en déclarant que le cas d’Eric A. allait, malgré son retrait, tout de même être instruit et elle raconta comment il avait été recruté par un scientologue qui faisait la tournée des plages sur un bus à l’été 1997. Incroyable, sans être nommément cité, j’étais bien impliqué et ce dès l’ouverture de ce procès.

Jean était manifestement plus préoccupé par sa conscience que par le sort des protagonistes de ce procès et de la condamnation à 40.000 Euros pour chacun des principaux dirigeants de l'église qu'il avait de fait plus ou moins couvert dans cette histoire. Il me confia que durant toute cette période il avait suspendu ses activités puisque d'une certaine façon la Scientologie l'avait rattrapé alors que pendant huit ans il l'avait volontairement mise de côté. C'est quand il vit l'échéance du procès arriver qu'il se décida à consulter le net qui l'absorba totalement pendant plusieurs mois tant ce qu'il y découvrit le stupéfia. C'est vrai qu'il est vivement déconseillé par l'église aux scientologues d'aller s'informer sur la toile au risque de tomber sur des données qui pourraient soit disant mettre leur éternité en jeu ou leur coûter très cher en séances de ré-endoctrinement, ce qui est un moyen de contrôle très efficace pour maintenir les adeptes sous influence.
   
Le Cohérent 
19.11.2015   

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